• Léo Ferré
    LA MÉTHODE


    Apprendre rien c'est difficile et délicat
    Et compliqué et con et inutile
    Czerny? D'accord!
    Larousse? D'accord!
    La Géo? D'acc!
    La pharmacopée?
    Demandez à mon père c'était un spécialiste
    Il emportait avec lui des valises le sentiment barré du Codex
    Des infusions particulières qui sait?
    L'éternelle jeunesse?
    - Et si je meurs?
    Il est mort!

    Apprendre rien? C'est Hamlet, tiens!
    To learn or not to learn... that is... that is... c'est con
    La méthode?

    Seul sur un chemin de chèvre à la montagne
    Au moment où il ne va plus y avoir d'arbre
    Au moment où la végétation peut s'écrire facile
    Sur une page de ton agenda
    Et puis même pas à te frapper pour le téléphone...
    Tu parles à voix basse et tu t'entends te répondre
    C'est bath! Non! Le circuit fermé
    - Allô? Le temps?
    - Yes!
    - And you?
    - Pas mal pas mal pas mal...

    Tu prends une pierre dans ta main
    Personne n'y a jamais touché... tu te rends compte?
    Une pierre vierge pour toi tout seul éternellement
    L'adultère chez les pierres que tu marries
    Comme ça très vite c'est rare c'est rare...
    Une pierre ça s'accroche... comme les étoiles
    Tu as déjà vu des étoiles à toi se barrer avec un particulier?
    Dans une galaxie de passe?
    Tu regardes un coq de bruyère qui passe en te faisant peur
    Parce que le bruit que peut faire un coq de bruyère
    Quand tu as la pierre en main
    Et qui n'a jamais touché une main humaine
    Et bien ce bruit est fantastique...
    Ça fait fouou... flouou...
    Comme Czerny... Écoute... Quel salaud!

    Tout à coup une source pas loin du glacier
    Et puis de fleurs sauvages
    A se demander vraiment... Harlem?
    Tu causes tu causes... Tu crois?
    Des fleurs noires de la Débauche ou de l'Anarchie
    Non... Des fleurs noires de pierre de l'Amour
    La Méthode?

    Apprendre tout par coeur, surtout la gueule des gens
    Et puis, tout oublier, immédiatement, comme à l'école...
    - Vous avez appris la gueule de grammaire?
    - Ouais
    - Alors?
    - Elle est vieille!
    - Comment ça fait?
    - Je t'aime Tu m'aimes J'aime J'aime J'aime

    Apprendre, oui, apprendre...
    Sentir les fumiers avant de les apprendre
    Dresser son nez faire des exercices particuliers
    Le téléphone?
    - Allô?
    Et puis tout de suite fourrer son nez dans l'écouteur
    Oh! la la la la...
    - Il n'est pas là monsieur
    - Comment?
    - Allô? Je n'entends pas mais je sens je sens...
    Et tu raccroches
    Au début c'est difficile
    On ne sait pas si tu écoutes ou si tu renifles
    Et puis petit à petit...
    Entre Dior et la merde
    Il n'y a souvent qu'une question de circuit mal branché...
    Je suis un OLFACPHONE

    Je suis un vieux corbeau qui traîne sur les fils télégraphiques
    Et j'en apprends des choses
    Les fils télégraphiques c'est un peu le cabinet de la chose publique
    Je n'ose pas décrocher la nuit parce que ça sent quand même

    La Méthode?

    ART.1 CASSER LES TÉLÉPHONES

    Les autres? L'autre?

    Les autres c'est facile: C'est toi multiplié par eux c'est clair?
    Les autres? C'est tes pantalons enfilés par eux c'est clair?
    L'autre? L'autre?
    J'y reviendrai

    ART.2 CASSER LES AUTRES

    Quand tu t'es enfilé comme ça
    Une peau de crocodile sur le sentiment
    Alors on ne t'approche plus que par ouï-dire:
    Ah! celui-là on ne sait pas qui c'est exactement
    Et tu poursuis ton chemin ta cig ou ton chien
    Si tu as le sens de la réverbération
    Les chiens ne sont pas les Autres
    Il fallait bien savoir un jour ou l'autre
    Les chiens ça réverbèrent un quelque part
    Qui est juste sur la bulle de l'Univers un peu en dehors
    Ils sont un peu en dehors les chiens

    Nous, nous bouillons dans l'Administration
    Nous sommes des administratifs

    ART.4 CASSER L'ADMINISTRATION

    Tu as deux poings?
    Frappe sur la table frappe la tête
    Tu as deux poings?
    Mets-les au bout de tes bras le long de ton corps
    Et prends des loups par la main
    Ton poing alors s'épanouira comme une fleur matinale

    Le silence que j'ai perdu
    Au bout de cette rue barrée
    Ne m'a jamais été rendu
    J'habite en-haut de ces pavés
    J'y vois des pays trop marins
    Des fleurs de filles délaissées
    Et le système de ton bien
    Allongées dans cette rue blême
    Tu passais sur moi comme un char
    C'était de la guimauve encarrossée de miel
    Alors je m'abreuvais en regardant dedans
    O les sources de brume en ces rues dévêtues...

    Tu as deux yeux regarde en-dedans de toi
    Et sors-toi par les yeux
    C'est aussi ça Méthode: S'EXTIRPER

    ART.5 S'AUTO-VOMIR

    Et s'offrir en prime la salope de Cahors
    Chacun a une salope quelque part
    Moi j'en ai par-ci par-là et à Cahors
    Je me souviens de ces lilas
    Dont elle fleurissait ma maison
    Avant que cette salope-là
    Ne prenne sa vrille
    Elle m'avait fourgué des fleurs
    Histoire de montrer son bon coeur
    Ben Dame! Un coeur il faut que ça brille
    Y'a des gens que ça fait maronner
    De ne pouvoir jamais entrer
    Dans l'intimité des Artistes
    C'était dans son genre à elle une artiste
    Elle est entrée elle est entrée

    Le trou de serrure où tu lorgnais
    C'était ma cavale de la nuit
    Et toi tu venais tapiner
    En tapinois en tapis nuit

    Dis-moi la salope de Cahors
    Où traînes-tu ta gueule encore?
    Sur quelle fosse à purin?
    Sur quel poulaga en gésine?
    Dis donc la voyeuse de Cahors
    Sur quel fumier? Sur quel jardin?
    Sur quel azur fais-tu ton deuil?
    Toi l'amour tu le fais avec ton oeil
    Et dire qu'elle me disait l'Autre
    - Qu'est-ce qu'ils peuvent être con ces deux-là
    Chacun a une salope quelque part
    Moi j'en ai par-ci par-là et à Cahors


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  • Léo Ferré
    LA VIOLENCE ET L'ENNUI


    Nous d'une autre trempée et d'une singulière extase
    Nous de l'Épique et de la Déraison
    Nous des fausses années Nous des filles barrées
    Nous de l'autre côté de la terre et des phrases
    Nous des marges Nous des routes Nous des bordels intelligents

    O ma soeur la Violence nous sommes tes enfants
    Les pavés se retournent et poussent en dedans

    J'ai l'impression démocratique qui me fait des rougeurs
    A l'extrême côté du coeur et des entrailles
    J'entends par là mes tripes à la mode de Mai

    JE VOUS COMMANDE D'ÊTRE BREFS ET COUILLOSIFS

    J'ai le sentiment bref de ceux qui vont mourir
    Et je ne meurs jamais à moins que à moins que
    Je sais des assassins qui n'ont pas de victime
    Qui s'en vont faire la queue pour voir le sang d'écran
    Et cette pellicule objective qui pellicule sur le vif

    Surtout ne pleure pas
    Les larmes c'est le vin des couillons

    Moi je ne pleure plus
    Et je le dis bien haut bien tendre aussi et bien à l'aise;
    Crevez-leur le paquet qu'ils portent sur leurs quilles!
    Marx était un "hippie"
    C'est pas comme en dix-sept, à la consigne,
    Dans cette Russie rouge à la lénifaction

    ... Et personne jamais n'a été réclamer ce barbu stalingradé...
    Quand je vois un stalinien je change à Stalingrad
    Je sais des assassins qui ont le cran d'arrêt
    Et qui sont beaux comme les cons qui vont voter
    Des assassins assassinés et leurs manières
    A ne jamais vouloir crever comme crevèrent les Communards
    Mes frères

    Et je le dis bien haut: il faut DÉCONSTITUTIONALISER le foutre
    Et porter l'inconfort cousu dessous leur peau
    A ces bourgeois qui se permettent de jouir, en outre!

    JE VOUS COMMANDE D'ÊTRE BREFS ET CARTÉSIENS

    Je sais des charmes bruns qui sont de sang caillé
    Et qui se grattent comme on gratte une blessure
    Ça vous ravive un peu de rouge, ça a l'allure
    D'une légion d'honneur que l'on pardonnerait.

    Ô ma soeur la Violence Ô ma soeur lassitude
    Ô vous jeunes et beaux empêtrés dans vos livres
    II faut faire l'amour comme on va à l'étude
    Et puis descendre dans la rue
    II faut faire l'amour comme on commet un crime

    Ô ma soeur la Violence tes enfants s'analysent
    Et du Guatemala s'en viennent des parfums
    De sang et des Guatémaltèques allant s'analysant
    Dans les ruisseaux de sang coulant comme la crème
    La crème de la Révolution montant

    Ô ma soeur la Violence Ô la fleur du boucan
    II fait un bruit à rancarder tous les voyeurs
    Et un bruit qui se voit ça vous a des couleurs
    A vous barrer la vue pour des temps et des temps
    Je sais des bises s'ennordant depuis l'Afrique
    Le monde est court, la gosse, il faut tâter la trique
    Dans le pieu, dans la rue, mais tâter de cet ordre
    De cet ordre nouveau où germe le désordre
    Le beau désordre des voyous au ventre lisse
    Viens par ici la gosse un peu, que je t'en glisse...
    De ma graine d'amour...
    Qui gonflera dans toi comme un chagrin de carne
    Sur le monde envahi de tant de muselières
    Dans le Paris des chiens je vais l'âme légère
    Ô ma soeur la Violence Ô ma soeur lassitude
    Ô vous jeunes et beaux empêtrés dans vos charmes
    II faut faire l'amour comme on va à l'étude
    Les yeux vers les jardins où fleurissent les armes

    Des armes, comme une esthétique de la solitude
    Des armes, comme une sinistre compo d'angliche
    WHAT DO YOU MEAN, GUN?

    Je sens que nous arrivent
    Des trains pleins de brownings, de berretas et de fleurs noires
    Et des fleuristes préparant des bains de sang
    Pour actualités colortélé
    Le sang ça s'ampexe tout ce qui y'a de bien

    Le sang c'est rentable dans la technicoloration
    Et je te ferai voir un sang vert quand il sera question de questionner

    Je sais des fleurs d'amour qui polennent les blés
    Et qui vous font un pain que l'on mange à genoux
    Un pain de chair vivante et que l'on aimerait
    Comme on aime une enfant que cache ses atouts
    Et qui les touche un peu comme on caresse une arme
    Un doigt sur la gâchette et le reste aux abois
    Et que s'irise alors ta violette de Parme
    Enfant mauve de mon silence et de ma loi

    Des armes, comme une esthétique du pain sur la planche
    Des armes blanches comme l'aube blanche à Paris
    Cette aube comme le foutre de l'absence

    NOUS SOMMES ABSENTS, MESSIEURS!

    L'amour toujours l'amour Ah! cet amour malade
    Comme une drogue dont on ne peut se dédroguer
    Comme une drogue à laquelle je me soumets
    Je suis un trafiquant d'amour...

    Des armes, comme un sourire de l'autre côté de la tête
    Comme une façon de désarmer
    Comme un chien qui vous aime
    Des armes qui vous lèchent, qui vous sortent, qui vous bercent
    Des armes pour inquiéter l'inquiétude
    Et puis le Code de la peur à distribuer
    A tous ceux qui habitent avec la peur ou que la peur habite
    Art. l J'ai peur
    Art. 2 J'ai peur
    Art. 3 J'ai peur
    Art. 4 Où sont les toilettes?

    Des armes, comme une esthétique de la solitude
    Quand on est seul et armé on n'est plus seul
    Quand on est seul et désarmé on fait une demande pour être CRS

    L'amour toujours l'amour Ah cet amour serein
    Cet amour qui vous monte à la bouche comme une grenade
    Qu'on ferait bien éclater dans quelque ventre passant
    Dans quelque ventre curieux, oisif, en mal d'amour

    Des armes, comme un planning de la résurrection
    Et quant aux armes blanches, on pourrait les teinter de rouge
    Dans une teinture particulière et à la portée de toute portée

    Nous d'une autre trempée et d'une singulière extase
    Nous de l'Épique et de la Déraison
    Nous de l'autre côté de la terre et des phrases
    O ma soeur la Violence O ma soeur de Raison

    Au quartier des terreurs des enfants se sont mis
    A brouter des étoiles
    La Voie Lactée s'amidonnait dedans leurs toiles
    Et la carte du ciel dans ce quartier de France
    Indiquait aux passants la route à ne pas suivre
    II brumait dans le ciel des paroles de givre
    C'était d'un cinéma nouveau et d'une danse
    Qu'on ne dansait plus avant longtemps. Nanterre
    Se prenait pour Paris et le tour de la terre
    Se faisait sur lin signe, une pensée de fièvre
    Un désir de troubler les fleurs et les manières
    Une particulière oraison, un. sourire,
    À mettre les pavés à hauteur d'un empire

    Le sable des pavés n'a pas la mer à boire
    Ça sent la marée calme dans les amphis troublés

    Des portés de secours sont ouvertes là-bas
    II suffit de pousser un peu plus, rien qu'un geste...


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